Charge mentale, mon amour ❤️

Emma, la charge mentale et moi

Depuis la parution en mai 2017 de Fallait demander, la BD de la dessinatrice Emma sur la charge mentale, on a beaucoup parlé de ce sujet. J’avoue que pour moi aussi, sa BD a été une révélation. J’ai compris ce jour-là que le couple, dans lequel je me trouvais représenter la partie féminine, et que je pensais égalitaire ne l’était en fait pas du tout. Oui, nous nous répartissions les tâches domestiques à part à peu près égale, ou au moins équitable. Par contre, l’organisation de la vie domestique, et donc la charge mentale, me revenaient quasi-exclusivement. Liste des courses, budget, tâches administratives, planification des loisirs, des sorties et des vacances, je pensais à tout, et j’y pensais sans y penser.

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Extrait de « Fallait demander » la BD d’Emma sur la charge mentale

Lorsqu’à 18 ans je me suis installée à Bordeaux pour y faire mes études, mes parents ont équipé mon tout nouveau chez-moi d’une machine à laver, de deux plaques de cuisson, d’un petit frigidaire et d’un four à micro-ondes multifonctions dans lequel j’ai réalisé quelques uns des meilleurs fondants au chocolat de ma carrière de ménagère (ouh, le vilain mot). J’ai donc pris mon indépendance et, assistée de tout le confort moderne, j’en ai assumé les conséquences : je faisais les courses, la cuisine, la lessive. Très vite, mon père, ex-comptable de son état, m’a aussi enseigné les bases de la gestion d’un budget.

A cette même époque, d’autres se faisaient cuisiner par leur mère des plats pour toute la semaine, des lasagnes, ratatouilles, gratins dauphinois et autres hachis parmentier gentiment disposés dans des barquettes en alu, refermées par un opercule en carton sur lequel leur gentille daronne inscrivait le nom de la recette et sa date de préparation. Ils pouvaient, pourquoi pas, manger dans des couverts en plastique pour éviter d’avoir à faire la vaisselle. Ils entassaient méticuleusement leur fringues sales dans un coin de leur studio pour les fourrer, le vendredi soir, dans une grosse valise à ramener chez leur mère. Quand à tout courrier reçu par la Poste, lorsqu’il avait la chance d’être ouvert, il se retrouvait irrémédiablement entassé dans un placard.

Lorsque j’ai rencontré mon homme, il appartenait plutôt à cette deuxième catégorie, même s’il a très tôt essayé d’être autonome. Au fur et à mesure de notre vie de couple, il a admis l’essentiel des critiques que je pouvais formuler sur les déséquilibres dans notre binôme. En matière de charge mentale, l’évolution a été lente et fastidieuse. Depuis un an (alors que nous vivons ensemble depuis neuf ans), les avancées de son côté sont notables : faire la liste des courses, trouver des idées de repas, prendre rendez-vous chez le pédiatre ou penser à la déclaration du salaire de l’assistante maternelle pour obtenir nos allocations familiales… autant de tâches qui me revenaient et auxquelles il pense maintenant spontanément.

Mais pour moi, est-ce que ça va mieux ?

Je pourrais dire que oui, ça me soulage, que ça me rend la vie plus facile mais ça ne serait que partiellement vrai.

Ce n’est pas parce qu’il y pense que je n’y pense plus.

woman_model_young_woman_beauty_female_beautiful_sexy_paris-1288753.jpg!dJe dois donc désapprendre à penser à tout, tout le temps, avoir confiance dans la capacité de l’autre à penser au bon moment et à bon escient, accepter de libérer du temps de cerveau pour des pensées plus sympathiques. Parfois, n’ayant plus rien à penser en matière ménagère, je me retrouve comme un poisson rouge dans son bocal, mes pensées tournent en rond et je ne parviens pas à m’atteler à quelque chose que j’ai vraiment envie de faire. Je cherche toujours s’il n y aurait pas plutôt quelque chose que je devrais faire, de plus important, de plus urgent, de plus indispensable à la vie de ma famille.

Je me sens dépossédée d’un certain talent qu’on me reconnaissait pour organiser la vie domestique.

Toutes ces choses auxquelles je pensais, c’était l’huile dans les rouages d’une machine familiale qui, grâce à moi, tournait bien ; j’étais la mécanicienne du foyer. Si, dans cette maison, je ne suis plus celle qui entraîne la locomotive, à quoi je sers ? Cette charge mentale que j’accepte de partager, c’est aussi un renoncement. Je laisse un peu de place, au risque de voir mon conjoint s’en sortir bien, voire très bien, voire mieux que moi, et ça, c’est flippant. L’autre jour, mon cher et tendre a passé un certain temps à faire les courses sur notre supermarché en ligne favori avant d’aller récupérer lesdites courses au drive le plus proche. Il avait pensé à tout. Franchement, je n’aurais pas mieux fait. Eh bien j’ai fini par lui demander sur un ton de reproche pourquoi il avait acheté du lait bio, plus cher que le lait non bio. C’était d’une mauvaise foi confondante car en fait, le lait bio, c’est très bien. J’ai bien essayé de me retenir mais, usurpée que j’étais dans mon rôle de grande planificatrice, je me suis sentie obligée d’attaquer, juste un tout petit peu, juste pour casser un peu de la confiance qu’il aurait pu prendre en lui — attends coco, ne crois pas que tu es arrivé, tu as encore beaucoup à apprendre.

Si je n’ai plus rien à reprocher à mon conjoint, est-ce que je ne vais pas un peu m’ennuyer ?

Comme (presque) tout le monde (en France en tout cas), j’aime bien me plaindre. De mon boulot, de mon enfant, de ma mère, de mon mec ; sur tous ces sujets, je suis intarissable. En matière de couple, la négligence de l’homme pour les tâches domestiques fait partie, au même titre que les poils dans le lavabo, des motifs de plainte les plus courants. Mon mec se dirigeant assurément vers une implication, disons, normale dans le foyer, il ne me restera plus que les poils dans le lavabo et j’ai peur que ça fasse un peu léger.

Je culpabilise

Lorsque mon conjoint pense avant moi à quelque chose, lorsque je me rends compte que vraiment je n’y avais pas pensé, lorsque je réalise que, sans lui, nous n’aurions plus eu de lait pour le bib’ du lendemain matin ou oublié un rendez-vous, je culpabilise. Donc je veux bien qu’il pense aux trucs, je veux bien même faire semblant de ne pas y avoir pensé avant, mais je ne peux m’empêcher de me dire que pour lui, le pauvre, ça demande de terribles efforts alors que pour moi, c’est habituel, intégré depuis des années, sans doute même depuis l’enfance puisqu’en tant que fille, j’ai dû être un minimum formatée pour penser comme cela. Parmi les conséquences désagréables d’une meilleure répartition de la charge mentale, la culpabilité est sans doute la plus insidieuse. Elle est incontrôlable et représente une incroyable force de résistance au changement.

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Dur, dur de renoncer ou discours d’une soumission volontaire

Actuellement, le compte Instagram taspensea (T’as pensé à) sur la charge mentale créé par la blogueuse Madame Sourire explose les compteurs (presque 27 000 abonnés en cet instant).

 

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Sur ce compte des dizaines de femmes évoquent le poids de la charge mentale dans leur quotidien et apparemment dans nombre de couples, c’est pas joli joli. Objectivement, j’ai donc de la « chance » et j’en suis consciente (même si on est d’accord pour dire qu’une juste répartition des tâches et de la charge mentale est totalement normale et devrait aller de soi). Mais on aurait tort de considérer qu’il est facile de renoncer à ses attributions traditionnelles.

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Manon Garcia

Dans son ouvrage On ne naît pas soumise, on le devient paru chez Flammarion en 2018, la philosophe Manon Garcia interroge les mécanismes de la soumission. Dans quelle mesure les femmes sont-elles partie prenante du système de domination qui pèse sur elles ? Ce livre essentiel, passionnant et délicieux à lire permet de réaliser à quel point il est confortable de se conformer aux attentes sociétales et à quel point nous sommes formatées pour aimer ça. La maternité est un bon exemple — avoir des enfants et aimer cela reste essentiel dans la vie de nombreuses femmes, mais il y en a plein d’autres. Pour moi, partager la charge mentale demande chaque jour des efforts, car elle implique de renoncer à un rôle social dans lequel je me sens confortable. Y renoncer m’insécurise autant, et peut-être même plus, que s’y mettre pour l’homme aux côtés de qui je vis.

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Et vous, les daronnes, comment vivez-vous la plus ou moins bonne répartition des tâches dans votre couple ? Je serais curieuse de partage vos réflexions !

12 commentaires

  1. Ma chance est de n’avoir jamais été une parfaite fée du logis, seule ou à deux, ni à trois ni à quatre. Pareil pour mon conjoint. Du coup on essaie de faire tous les deux du mieux pour que chacun dans la maison vive en bonne santé et qu’aucun huissier ne nous appelle!
    Je culpabilise aussi (quand même, je suis une femme bien éduquée merde!) car j’ai l’impression d’en faire moins que lui et j’ai peur qu’il fatigue. D’ailleurs mon père me met en garde régulièrement « Attention quand même prend soin de ton amoureux ».
    « Mais papa notre secret c’est qu’on prend soin l’un de l’autre en toute imperfection . »

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    • Merci pour ton commentaire. La culpabilité est dingue en matière de répartition des tâches. Moi j’ai parfois l’impression de me laisser aller ou de me laisser porter alors qu’objectivement j’en fais aussi beaucoup. J’ai l’impression d’être exigeante avec mon conjoint quand sa participation s’élève à un niveau on ne peut plus normal. Satanée culpabilité ! Je retiens « prendre soin l’un de l’autre en toute imperfection ». Merci!

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    • Oui, ce compte est très instructif. Après c’est toujours biaisé car peu de gens racontent leurs expériences positives. C’est ce qui m’a poussé à écrire cet article : je voulais exprimer que tout n’est pas blanc ou noir. Même que les mecs s’impliquent, la vie de couple reste un défi!

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  2. Pour ma part, je me reconnais tout à fait dans cet article. L’égalité entre les hommes et les femmes est encore loin d’être gagné, même si nos hommes d’aujourd’hui, si je puis dire, ont déjà la conscience que le rôle de la femme n’est plus l’exclusivité dans les tâches ménagères. Mais avant que ce soit le véritable partage, il y a encore du boulot ! Mais doit-on leur en vouloir à nos bons hommes ? Après tout, ce sont bien les mères qui les ont habitués à ce confort de vie, quand celles-ci préparaient les petits plats pour la semaine et leur lavaient le linge les week-ends, lorsqu’ils étaient étudiants. Et du coup, pour les petites filles, quel modèle que de voir leurs mères sans cesse s’activer pour faire tourner la baraque ! Alors, c’est sûr que d’un côté ou de l’autre, reproduire ce qu’ils ont vu depuis la plus tendre enfance est tout à fait « normal ». Ce qui veut dire, pour moi, que nous les femmes de notre génération avons encore un peu de boulot pour inverser cette tendance et faire en sorte de montrer à nos petits chérubins, filles et garçons, que le ménage et tout ce qui attrait à l’organisation familiale est bien l’affaire de tous ! Et que nous, les femmes et mères, devons absolument arrêter de culpabiliser car c’est un véritable poison pour notre cerveau.
    Pour finir, petite anecdote. Hier soir, au repas.
    Moi : « ah, c’est cool, demain je n’ai qu’à penser au rendez-vous chez l’ortho pour léo ». Ma fille : « Mais non maman, tu n’as pas que ça à penser ! » Mon mari : « Elle a raison, tu n’as pas que ça à penser ! « Moi : « Ben si ! j’ai rien d’autre à faire ! « Ma fille : » Si maman, tu dois te reposer. »

    Et ça c’est que du bonheur…
    Merci Daronne perchée pour tes articles.

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    • Ils sont meugnons ! J’espère que tu les as bien écoutés. Je vois que oui, puisque tu consacres une partie de ta journée à lire mes articles 😝 (je ne sais pas si c’est vraiment du repos, en fait… 🤔) En tout cas merci pour ton témoignage. Oui, il y a encore beaucoup à faire, mais nous sommes sur la bonne voie ! Enfin, je crois…

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  3. Juste un petit rajout sur mon précédent commentaire pour qu’il n’y ait pas d’incompréhension. C’est aussi, bien sûr, l’affaire des hommes que de montrer à nos petits chérubins que les tâches ménagères ne sont pas dédiées qu’aux femmes ! Donc une affaire de couple. Après tout, les enfants, on les a fait à deux, hein ! Bon.

    Bises
    émilie

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    • C’était très clair, ne t’inquiète pas ! Et oui, c’est la base : les enfants on les fait à deux donc on les assume entièrement à deux. Idem pour les parties de jambe en l’air : on les fait à deux (ou à plus, chacun fait ce qu’il veut) donc la contraception, c’est l’affaire du couple, pas l’affaire des femmes — mais il faudrait un article entier rien que pour ça !

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  4. La lecture de ton article tombe à pic car ces derniers mois, je n’avais pas compris ce qui se passait dans mon foyer, j’avais l’impression de tout faire à la maison, de penser à tout et malgré je délègue les tâches ménagères, cela ne me suffit pas… je pense que c’est tout à fait cela, c’est la charge mentale. Merci d’avoir mis le mots là-dessus, je vais pouvoir travailler sur moi.

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    • Si tu ne la connais pas je te conseille vraiment de lire la BD de la dessinatrice Emma qui est limpide sur le sujet ! En ce qui concerne le fait de travailler sur toi, je t’y invite, évidemment, car c’est toujours positif mais en ce qui me concerne, de nombreuses mises au point ont été nécessaires avec mon conjoint : ils doivent réaliser que FAIRE n’est pas suffisant, il faut PENSER aussi, et ça, ça s’apprend pour eux, ça se désapprend pour nous. Bon courage !

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  5. Mais, je n’avais pas lu cet article!!!
    Et pourtant , ça parle de moi . Je me retrouve complètement dans tes mots. Nous cheminons nous aussi tout doucement dans un partage des tâches plus équitable mais dans notre génération c’est encore plus difficile tellement les schémas traditionnels sont ancrés.
    Mais vraiment le plus difficile c’est de s’affranchir de la CULPABILITÉ.
    Le plus important maintenant c’est l’education de vos enfants, garçons et filles pour sortir de ces rôles assignés à chacun en fonction de son genre. Et là y a du boulot lorsqu’on voit les fringues, livres, jouets etc…Courage les darons et les daronnes , vous êtes sur la bonne voie.
    Et merci de nourrir ma réflexion .

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