Pour la fin du baby blues

L’autre jour, j’ai écouté l’émission Grand bien vous fasse d’Ali Rebeihi sur France Inter consacrée aux baby blues.

Le pédopsychiatre Jacques Dayan, auteur d’un ouvrage dans la collection Que sais-je sur le même sujet y rappelait la chose suivante : « En fait nous connaissions depuis l’Antiquité les délires exceptionnels des femmes qui pouvaient accoucher et puis les gynécologues-obstétriciens avaient remarqué qu’un certain nombre de femmes présentaient des accès de pleurs inexpliqués, une tristesse inexpliquée, de temps en temps une euphorie et ceci dans les années 1950. Et le terme est resté de baby blues un peu comme le blues du poète et le blues du musicien. Et cette affection est effectivement très fréquente mais absolument pas grave. Le baby blues est un terme générique parce que le « vrai » baby blues n’est pas une manifestation pathologique. »

Il y a donc le « vrai » baby blues, le faux baby blues, celui qui est pathologique, celui que ne l’est pas, tout cela passé à la moulinette psychiatrique bien pratique pour catégoriser des troubles, moins pour expliquer ce que ressentent les gens, en tout cas parfaite pour semer la confusion.

Initialement, le baby blues (le « vrai », donc) est un état de déprime passager qui intervient, en gros, entre le 3e et le 14e jour après la naissance de l’enfant (plus tardif si l’enfant est prématuré). Il concerne 5 à 7 femmes sur 10 et il est tout à fait bénin d’un point de vue médical. Néanmoins, ce n’est pas parce qu’il est très fréquent et non pathologique qu’il ne faut pas en parler ou le balayer d’un revers de la main. Qu’il soit dû aux hormones, à la fatigue, au bouleversement que représente le fait de devenir mère ou à la couleur du papier peint dans la chambre « Pervenche » de la maternité, pour Patrick Ben Soussan, autre pédopsychiatre :

« Le baby blues, s’il existe, doit permettre, qu’on vous écoute et qu’on vous parle ! Et ce n’est pas parce que ça arrive aux autres, à presque toutes les autres, que ça n’a rien à dire. »

Voilà. Même si le baby blues est connu, même si la femme elle-même est consciente du caractère disproportionné de ses réactions, même si tout le monde pourra bientôt en rire (l’occasion pour le cousin Machin de balancer une petite blague sexiste bien sentie, du type Ah, ces gonzesses et leurs hormones ! T’as pas fini d’en chier Manu !), il n’est ni agréable ni anodin de s’effondrer en pleurs, sans raison apparente, devant une infirmière, son conjoint, son bébé, des amis, sa tante Lucie ou pire, devant sa belle-mère !

Ensuite, le baby blues en tant que terme générique, qui engloberait toutes les difficultés maternelles (autre terme générique utilisé cette fois par l’association Maman Blues dont je suis une fervente bénévole et sur le site de laquelle j’ai, je dois dire, pompé tout le paragraphe précédent), du « vrai » baby blues à la psychose puerpérale en passant par la très célèbre dépression post-partum, pose problème car, comme tous les anglicismes, il minimise la réalité de ce qu’il décrit. C’est aussi le cas pour le burn-out, le mum shaming,  le revenge porn ou que sais-je encore. Ce globish auquel nous sommes toutes et tous habitués adoucit, banalise et rassure. Jacques Dayan le dit, ce blues évoque celui du poète ou du musicien. So romantic ! C’est la clarinette qui louvoie dans le premier mouvent de Rhapsody in blue de Gershwin, c’est Sweet home Chicago des Blues Brothers, c’est éventuellement un poème de Baudelaire bien dégoulinant de spleen.

C’est beau mais ça n’a rien à voir avec la détresse maternelle.

Choisir ce terme comme générique conduit femmes et professionnels à botter en touche au moindre symptôme anxieux ou dépressif : c’est le baby blues, c’est donc passager et inoffensif.

Ça fait peut-être même partie de toute la panoplie parentale :  pour deux body achetés, un baby blues offert ! Profitez-en messieurs dames, et retrouvez aussi nos nouveaux cosy, cocoonbaby et babyphones à des prix imbattables !

Le baby blues devrait être rayé de notre vocabulaire car la difficulté maternelle n’a rien d’insignifiant, même si elle est fréquente, banale, diraient certains.  Elle n’a rien, non plus, de sublime ni de transcendantal, rien de romantique, rien de poétique, du moins pas quand on est dedans. Il suffit de lire des témoignages pour s’en convaincre. Quelques symptômes en vrac : mal de dos permanent, palpitations, bouffées de chaleur, tremblements, sensation d’oppression, d’étouffement, de vertige, impossibilité de s’endormir, de se rendormir, cauchemars, anxiété constante, crises d’angoisses, culpabilisation omniprésente, rumination, souhait de partir, de disparaître, difficultés de concentration, plus goût à rien, perte d’envie (alimentaire, affective, sexuelle…), pleurs fréquents, colères incontrôlables, pertes de mémoire… Tout cela étant bien sûr cumulable et présentant des degrés divers.

Bien sûr, on peut, quelques mois ou quelques années plus tard, sublimer l’expérience par l’écriture, la musique ou toute forme d’art, on peut en faire une force, cela peut même transformer positivement et durablement notre rapport au monde mais quand on est dedans c’est juste la merde. Ça n’est ni rose, ni bleu, je veux dire blue.

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S’il passe près de chez vous, je vous conseille d’aller voir le film de Marie Betbèze, J’ai mal à ma maternité, sorti en 2018. Sinon, d’autres films dépeignent parfaitement le sujet : L’autre naissance de Chloé Guerber-Cahuzac ou les fictions L’étranger en moi d’Emily Atef et Un heureux événèment, adapté du roman d’Eliette Abécassis par Rémi Bezançon.

4 commentaires

  1. Justement j’ai le podcast de cette émission en attente! Mais comme j’en ai plein de Par les temps qui courent (France Culture) sur le processus de création peut-être que ton article va me suffire en fait 😉

    Ce que tu dis me fais penser à un article dessinée de la bédéiste et blogueuse Emma (qui a mis en avant le concept de charge mentale mais j’imagine que tu connais!) parlant des semaines qui suivent l’accouchement et de comment le traitement réservée aux femmes dans notre société devraient être pris en compte, au même titre que les hormones, dans la dépression ou le mal-être des jeunes mères. Je ne me suis jamais penchée dessus plus que ça mais après avoir lu quelque part qu’au Japon, on laisse les mères alitées pendant 40 jours avec l’aide d’autres femmes pour s’occuper de leur bébé, je m’interroge sur leur état d’âme et le taux de dépression. Les hormones sont-elles toujours les plus fortes? Le repos et le soutien aident-ils, dans quelle mesure?

    Est-ce des pistes que tu envisages, regarder comment se vit le premier temps de maternité dans d’autres cultures?

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    • On n’a pas montré scientifiquement que l’absence d’isolement protégeait des difficultés maternelles (dépression ou autre), par contre, on a montré que l’isolement est toujours évoqué en cas de difficulté maternelle. Etre isolée (se sentir isolée, en fait) est clairement le premier facteur de risque. Effectivement, dans d’autres cultures plus communautaires où la famille, la société s’organisent autour des jeunes accouchées et de leurs bébés pour les entourer, les aider, on parle peu ou pas de dépression du postpartum. Est-ce que ça n’existe pas ou bien est-ce simplement tabou ? Je ne sais pas. Dans nos sociétés, le soutien existait dans les générations précédentes. Il est moins institué aujourd’hui mais on aurait du mal à revenir en arrière car plus personne ou presque n’a envie d’avoir sa mère ou sa belle-mère chez soi h24. Dans l’immédiat, une bonne solution serait de permettre aux pères de rester un peu plus auprès de leur compagne et d’intégrer les aspects psychiques de la maternité dans les cours de préparation à la naissance car peu de pères savent de quoi leur femme a réellement besoin. C’est discuté actuellement et je pense que c’est en bonne voie 🙂

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