Un lundi soir, veille de rentrée scolaire.

Et voilà c’est demain.

Et en cette veille de rentrée il y a comme un blues du dimanche soir. Mais le lundi soir.

Je me surprends à vivre les rentrées de ma fille exactement comme je vivais les miennes : avec ce noeud à l’estomac, mi-impatient, mi-anxieux. J’ai aimé l’école. J’ai aimé apprendre. Il faut dire qu’entre une mère instit et un père éduc, j’avais ce qu’on appelle “les codes”. De toute façon je n’avais pas le choix. La réussite scolaire, dans ma famille, était non négociable. L’école républicaine était notre Église. Je lui devais respect, discipline, rigueur.

Par contre je n’ai jamais aimé la rugosité des rapports sociaux à l’école. Aussi, ai-je toujours appréhendé de retrouver ces camarades qui me surnommaient l’intello, la binoclarde, la fayote, la bourge. Ces garçons que je battais à la course mais qui n’auraient jamais reconnu leur défaite : mon lacet était défait, tu m’as poussé, tu as triché, tu es partie avant le sifflet. Je le jure, je ne suis jamais partie avant le sifflet, je n’aurais pas osé. Et donc en cette veille de rentrée, j’ai hâte, hâte de la voir apprendre. C’est idiot, mais chaque alphabet qu’elle récite me colle des frissons. Je suis émue. Je sais bien que ce n’est pas cela qui la rendra heureuse. Je sais bien que savoir chanter de A à Z est le degré zéro de l’apprentissage. Je sais bien que ça ne lui sera d’aucune utilité. De toute façon, je suis la preuve vivante que la réussite scolaire ne présage de rien. Mais quand même, j’ai les poils. Je suis conditionnée. Scolaire je suis, scolaire je resterai.

J’ai hâte, et j’ai peur. Parce que cette année, elle est dans la classe Jaune et pas dans la classe Verte. Elle adorait Frédérique, elle devra s’habituer à Florence et Alexia. Et si elle n’aime pas Florence et Alexia, elle devra se les cogner toute l’année. Le système est ainsi fait. Je suis inquiète parce que S. qui, l’année dernière, était dans la classe Verte de Frédérique avec ma fille est cette année dans la classe Rouge de Pascale (j’aurais tellement aimé qu’elle soit avec Pascale, elle est tellement chouette Pascale. Elle s’occupe de la chorale. Il faut la voir diriger 200 mômes de 3 à 5 ans sous 100 km/h de mistral !) Et donc, ma fille perd sa seule copine, d’un coup d’un seul. Alors elle pleure, elle dit qu’elle ne veut pas y aller. Et je la comprends, car ces micro-deuils là sont des deuils tout de même. La bureaucratie n’a que faire des amitiés, de la couleur des classes et des liens d’attachement entre enseignants et élèves. Tu parles, à quatre ans, des ami.es, elle s’en fera d’autres. À part que c’est compliqué pour elle, de se faire des ami.es. Elle a mis toute l’année dernière pour se faire celle-ci. Alors tout recommencer… pas simple.

Je l’ai vue devant ce panneau d’affichage intraitable et froid, devant cette liste d’élèves qu’elle ne savait pas lire, j’ai vu ses épaules s’affaisser et ses yeux se remplir de larmes. Classe Jaune. Le drame.

Ce soir j’ai hâte et j’ai peur. J’ai quatre ans.

13 commentaires

  1. Moi aussi j ai 4 ans. Depuis 20 ans, j ai la même envie de vomir la veille de la rentrée. J espère qu ils ne ressentirons jamais même un millième de mes angoisses. Je ressens encore cette bouchée de pain que je mâche 2000 fois sans parvenir jamais, à l avaler.

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  2. Ce soir, j’ai peur, j’ai 11 ans… Ce soir j’ai peur, j’ai 6 ans… Ce soir, j’ai peur, j’en ai 38 et je n’accompagnerai aucun de mes enfants ni à l’école ni au collège car 24 élèves de sixième m’attendront devant la salle A09 dès 8h30. Et cette année, plus que jamais, il me faudra déployer beaucoup de bonne humeur pour leur faire oublier qu’ils entrent dans un lieu qu’ils n’ont pas pu visiter l’année dernière, qu’ils doivent laisser leurs parents au portail et qu’ils ne connaîtront le visage de leurs nouveaux camarades qu’au repas de midi, quand nous pourrons quitter nos masques, l’espace d’un déjeuner… J’irai manger avec elles, avec eux d’ailleurs pour moi aussi savourer leurs visages, les graver dans ma mémoire. Et demain soir, en rentrant, on se racontera nos rentrées 2020 si particulières. Et je l’espère, nous n’aurons plus peur.

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  3. A bien des égards, tes mots auraient pu être les miens… La réussite scolaire comme une religion, c’est tellement vrai chez moi aussi 😦 Maintenant, j’essaie de développer envers mes enfants un mélange subtil d’attention soutenue aux affaires scolaires et de je-m’en-foutisme radical avec l’espoir qu’ils ne se mettent pas trop la pression. Peine perdue je le crains : il y a bien une ritournelle liturgique qui fredonne quelque chose à leur oreille malgré moi.
    Pour ta fille : plein de courage ! Le système leur impose des souffrances magistrales sans état d’âme 😦 Je me revois l’année dernière avec ma grande… Finalement, elle ne s’est pas fait d’ami.es mais elle a su développer de bonnes relations avec ses camarades de classe. Et elle retrouve sa copine cette année !
    Bonne rentrée ^^

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    • Oui, c’est clair que les petits drames de la vie scolaire sont totalement méprisés (comme tout ce qui touche à l’enfance en fait, non ?). Je n’ai pas connu ça dans ma petite école de campagne où tous les enfants restaient ensemble de la maternelle au collège ! Mais ça veut aussi dire que les harceleurs harcelaient les mêmes gosses pendant des années donc… Le changement a probablement du bon aussi. Ce qui me pèse beaucoup dans cette grande école de ville c’est le manque de communication/collaboration parents enseignants. J’ai franchement l’impression d’être exclue de la vie scolaire de ma gamine…

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  4. Mon fils a le double de l’âge de ta fille et un mal de chien à se faire des amis. Du coup, moi aussi, je vis avec cette boule au ventre chaque année, même toute l’année scolaire, j’ai envie de dire. Cette année, je l’ai changé d’école et j’avais l’impression que ça avait bien débuté, sauf qu’aujourd’hui, il est venu me dire qu’il ne comprenait pas pourquoi à part sa famille, personne (il parlait des enfants) ne l’aimait. Apparemment, quelqu’un s’était déjà moqué de lui. C’est compliqué à gérer. On entend tellement d’horreurs sur ce qu’il se passe à l’école que je ne suis jamais tranquille lorsqu’il y est.

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    • Merci pour ce partage. L’école est un milieu cruel, pas facile pour les enfants qui ne rentrent pas parfaitement dans les cases. As-tu pu en parler avec les enseignants à l’école ? De mon côté, pour l’instant, j’ai l’impression qu’elle ne souffre pas trop d’avoir peu d’amis. J’essaie de ne pas trop la pousser à aller vers les autres parce que ça me semble contre productif. Après tout elle a le droit d’être un peu solitaire et d’être sélective dans ses amitiés. Je voudrais qu’elle se sente libre d’avoir sa propre personnalité, même si ça veut dire être un peu en marge et à contre-courant du groupe. Courage à toi et à ton fils pour cette rentrée !

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      • Le mien n’en souffrait pas non plus à cet âge-là. On n’a su que beaucoup plus tard qu’il n’avait pas les codes en fait…et aujourd’hui, la suspicion de la douance (que je n’aime pas ces termes) se pose fortement…Perso, je n’ai quasi pas été en maternelle car je m’y ennuyais comme un rat mort mais j’étais très indépendante et je n’avais pas de souci de communication avec mes paires. A voir dans quel cas de figure rentre ta fille…

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    • « Mon fils a un mal de chien à se faire des amis. Du coup, moi aussi, je vis avec cette boule au ventre chaque année, même toute l’année scolaire … »
      Je vois là deux personnes qui se disent en souffrance : votre fils et vous sa mère.
      Que peut-on faire ?
      En parler (vous et votre fils), mais en douceur et avec de l’humour, c’est-à-dire en se regardant les yeux, avec un franc sourire au coin des lèvres, en passant du temps à s’écouter (pas trop de temps, tout de même : il s’agit de ne pas donner trop d’importance à ces souffrances : à vous de doser !) et proposer de l’entraide entre vous pour trouver des solutions concrètes. Du style : qu’est-ce que tu me proposes pour t’aider ? je te propose de refaire le point de cette question dans une semaine ou dans 15 jours, mais entre temps, on n’en parle plus, OK ? Et que peut faire l’entourage (le papa, s’il y en a un, le/la voisine, la/la maitre/sse, le/la directeur/rice …) ?

      J’espère (vous et votre fils) vous avoir aidés.

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      • On en parle depuis des années…Ce n’est pas nouveau. Il a 6 ans d’école derrière lui, mais chaque année est plus anxiogène que la précédente. Là, je viens de le changer d’école et j’ai su que 2 gamins de sa classe s’était déjà moqué de lui. Pourtant, mon fils n’a rien d’anormal. Il est juste différent. La nouvelle psy que nous consultons penche pour la douance et en lisant le livre de Christel PetitCollin « Mon enfant pense trop », j’ai retrouvé mon fils à 90%. Si c’est ça, nous comprendrons enfin et saurons comment l’accompagner

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      • Un travail avec un/e psy est une bonne chose …
        Mais, « aimer, c’est agir » a dit Victor Hugo.
        Il faut apprendre à sortir d’impasses stériles dans lesquelles on se retrouve, parfois, enfermé : il ne faut pas se contenter d’un diagnostic … aussi bon soit-il. Tout diagnostic doit être mis à l’épreuve de l’action.

        Si on vous dit : « votre enfant est hystérique » ou « surdoué » ou « c’est son complexe d’Oedipe … », il faut se poser la question : oui, peut-être, mais en quoi ça l’aide ?

        Trop parler du « problème » entretient parfois le « problème » …
        Je vous souhaite bon courage et de manier toujours l’humour et la complicité avec votre fils.

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  5. « Mon fils a un mal de chien à se faire des amis. Du coup, moi aussi, je vis avec cette boule au ventre chaque année, même toute l’année scolaire … »
    Je vois là deux personnes qui se disent en souffrance : votre fils et vous sa mère.
    Que peut-on faire ?
    En parler (vous et votre fils), mais en douceur et avec de l’humour, c’est-à-dire en se regardant les yeux, avec un franc sourire au coin des lèvres, en passant du temps à s’écouter (pas trop de temps, tout de même : il s’agit de ne pas donner trop d’importance à ces souffrances : à vous de doser !) et proposer de l’entraide entre vous pour trouver des solutions concrètes. Du style : qu’est-ce que tu me proposes pour t’aider ? et, aussi, dire à vote fils qu’il peut vous aider … et puis, je te propose que nous refassions le point de cette question dans une semaine ou dans 15 jours, mais entre temps, on n’en parle plus, OK ? Et que peut faire l’entourage (le papa, s’il y en a un, le/la voisine, la/la maitre/sse, le/la directeur/rice …) ?

    J’espère (vous et votre fils) vous avoir aidés.

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