« Mortalité infantile : les bébés devraient dormir dans la chambre des parents »
Oui mais moi, quand mon bébé dort dans ma chambre, je n’arrive pas à dormir. Les petits bruits qu’il fait dans son sommeil me maintiennent en éveil. Je suis épuisée. Alors mon bébé dort dans sa chambre. Et si la mort subite le frappe, est-ce que ça sera de ma faute ? L’aurai-je cherché parce que je n’ai pas sacrifié mon sommeil pour le préserver de cette horrible mais hypothétique fatalité ?
« L’allaitement exclusif au sein est recommandé jusqu’à l’âge de six mois. »
Oui, mais moi, quand j’allaite, je me sens angoissée et je ne supporte ni la fusion, ni l’extrême dépendance de ce bébé qui ne peut compter que sur moi pour se nourrir. Alors mon bébé n’est pas allaité au sein. Et si cet hiver il attrape le premier rhume venu parce qu’il n’a pas bénéficié d’assez d’anticorps. Ou la bronchiolite ou n’importe quelle autre maladie du nourrisson. Est-ce que ça sera ma faute ? Mère indigne qui sacrifie la santé de son tout petit pour préserver sa tranquillité, ses seins, son corps.
« En portant votre bébé, vous lui transmettez ce qu’aucune chambre d’enfant installée avec amour, aucun berceau ni aucune poussette ultra confortable ne peuvent transmettre : le sentiment de bien-être, de sécurité, de chaleur, le mouvement, la vie. »
Oui mais moi, lorsque je porte mon bébé, je me sens angoissée. Je ne me sens pas libre de mes mouvements et je me sens oppressée. L’été j’ai trop chaud, l’hiver je trouve ça inconfortable. Je me sens beaucoup mieux lorsque chacun dispose de son espace. Et si demain il manque de confiance en lui, est-ce que ça sera ma faute ? Parce que je n’aurai pas assez materné ? Parce que j’aurai préféré l’indépendance de nos corps ? Et s’il est asthmatique, est-ce que ça sera de ma faute ? Parce que j’aurai promené mon bébé en poussette à hauteur de pots d’échappement ?
Les bébés devraient dormir dans la chambre de leurs parents, être allaités au sein jusqu’à six mois et être portés le plus souvent possible.
Les parents devraient prendre sur eux et faire « ce qu’il y a de mieux ». Jusqu’au moment où ils en auront trop fait et où on leur dira « Tu en as trop fait. » Les bébés devraient dormir bien, et manger bien, et « être sages » (mais pas trop). Les parents devraient être heureux, calmes, cool, amoureux. Ne pas crier, ne pas râler, ne pas dire putain, merde et crotte de bique.
Les bébés devraient savoir se retourner à 5 mois, marcher à 10 mois , parler à 1 an, être « propres » à 2 ans.
Les mamans devraient faire leur baby blues du 2ème au 4ème jour puis plonger dans une béatitude rose, reprendre une vie sexuelle 1 mois après avoir accouché, le sport le plus vite possible, retrouver leur ligne et leur sex-appeal. Les papas devraient s’occuper de leurs mômes sans sourciller et aimer le caca de leurs bébés. Ils devraient s’estimer heureux d’avoir 15 jours de congés paternité. Ils devraient être patients et comprendre le baby blues de leur femme entre le 2ème et le 4ème jour. Et si jamais ça tourne mal, ils devraient assurer à tous les niveaux. Ils devraient cumuler toutes les qualités des papas d’hier et y ajouter celles des papas d’aujourd’hui.
Tout ça devrait s’organiser pour le mieux parce qu’on s’aime et parce qu’on l’a voulu et parce qu’on veut le meilleur pour son enfant.
Et finalement, c’est le bordel. On n’arrive pas à allaiter. On manque vomir à chaque fois qu’on change une couche et on nous traite de chochotte. On pourrait dormir quand bébé dort mais on ne dort pas parce qu’on pense à 1000 choses. Notamment à la mort subite. Cette salope rôde derrière la porte de sa chambre, n’attendant qu’un funeste déclic pour s’abattre sur ce petit être que ses égoïstes de parents ont lâchement abandonné dans son lit.
Le weekend, on pourrait sortir mais on ne sort pas. Et quand on décide finalement de sortir on le regrette amèrement parce que toutes les voitures sont garées sur les trottoirs et qu’en plus on ne passe pas par le portillon du métro avec cette p***** de poussette. La fois d’après on met bébé dans le porte-bébé mais bébé n’est pas content, voudrait gigoter, et on a pas la poussette. En plus il fait mille degrés et on n’a plus de tout envie de la faire cette balade.
On a finalement abandonné l’allaitement après un combat d’anthologie contre la bien connue et quasi-imbattable Culpabilité. Tout ça pour que le lait en poudre choisi constipe bébé. Alors on change de lait en poudre mais – ô rage, ô désespoir – celui-ci augmente les régurgitations. On commence à regretter d’avoir arrêté d’allaiter…
Bébé n’a d’yeux que pour sa sucette, une sucette bien particulière, en caoutchouc naturel qui coûte la peau des fesses, et un jour on la perd et c’est le drame. On la retrouve et on la rachète en 10 exemplaires pour être bien sûrs que ça ne se reproduise pas. Deux jours après bébé ne veut plus entendre parler de sucette et vous regarde la gueule enfarinée et tétant avidement ses doigts. Vous n’avez plus qu’à rester cool (n’est-ce pas ?) et à fabriquer un joli mobile avec votre collection de sucettes.
La vie avec un bébé c’est se rendre compte chaque jour que ce qu’on croyait savoir la veille n’est plus forcément vrai aujourd’hui. C’est se battre contre des démons insoupçonnés. C’est lutter pour faire la peau à Madame Culpabilité qui, en une trentaine d’années de vie et 9 mois de grossesse, a pris une sacrée assurance. C’est se débattre sans fin dans les sables mouvants des injonctions médicales, sociétales, familiales et en avoir plein le c** et certains jours ne pas sortir pour ne pas avoir à s’y confronter. Rester à la maison avec son petit morveux qu’on n’a pas trouvé le temps de baigner depuis 1 semaine, manger des crêpes en tâtant machinalement la petite bouée qui a définitivement enterré notre ventre plat. Lire plein de blogs dans lesquels plein de femmes et d’hommes se plaignent de se battre contre plein d’injonctions tout en contribuant à les faire perdurer. Alimenter son propre blog et se demander à quoi ça sert, à part peut-être à déverser le trop plein. Clamer qu’on n’a pas allaité, qu’on n’a pas cododoté, qu’on n’a pas beaucoup porté et qu’on a quand même besoin d’entendre qu’on est la meilleure des mamans pour cet enfant là, le meilleur des papas.