Explosons mesdames

Sur mon mur la mère imparfaite explose en millier de tâches d’encre.

Elle est partout, en chaque ami.e, chaque publication, chaque article.

Ne pas être la mère parfaite est devenu le nouveau diktat, le diktat du lâcher prise et de la décontraction. Il faut parfaitement réussir ses échecs, sans être amère jamais, il faut accepter ses failles, celles des autres, sourire et tendre l’autre joue.

Pas de colère, pas de névroses, des couleurs pastels et de la douceur, juste une calme douceur féminine.

Si tu surnages entre stress chronique et véritable burnout, que l’angoisse te prends dès le réveil à l’idée de la journée qui t’attend, que le plaisir et la détente te sont devenus étrangers, c’est ta faute, meuf. Tu veux trop être parfaite. Arrête d’être parfaite. Soit détendue, soit détendue, soit détendue.

Détendue quand tu te sens impuissante et dépassée par ton incompétence.
Détendue quand ton cher enfant étale de la purée partout sur son visage. Et le tien.
Détendue quand il projette ladite purée sur les murs.
Détendue quand il te répond « Pas question » avec toute l’audace de ses 5 ans.
Détendue quand la maîtresse se plaint de son manque d’implication en classe. Quand les autres parents se plaignent qu’il ne cesse de mordre. Quand le prof principal te dit qu’il dort en classe. Quand tu te rends compte qu’il dort en classe parce qu’il a déjà fumé trois pétards à 14h.
Détendue quand il habite encore chez toi à 40 ans et que tu lui payes ses PV – environ 2 par mois – parce qu’il n’a pas un rond. Et tu prends en plus les points sur ton propre permis parce que sinon il l’aurait déjà perdu cent fois.
Détendue quand tu n’en peux plus, que tes doigts te démangent mais que tu ne fais rien parce que tu sais que ce n’est pas bien, tu as bien lu Isabelle Filliozat, tu es abonnée à Grandir autrement.

Il semble que la mère imparfaite soit le nouveau modèle, la solution, la clé, le truc auquel on n’avait pas pensé mais qui en fait règlera tous tes problèmes si tu intègres bien le glossaire : lâcher prise, instant présent, résilience, bienveillance, prendre du temps pour soi, déléguer.

Le problème c’est qu’entre le glossaire et la réalité, il y a un gap. N’est pas moine bouddhiste qui veut. Et puis les moines bouddhistes ne sont pas parents. CQFD. La nouvelle norme de la mère imparfaite est aussi difficile à atteindre que cette autre norme bien connue des occidentales : être mince mais épicurienne avec des rondeurs juste là où il faut. L’échec est quasi assuré.

Tu dois être détendue et prendre du temps pour toi. Pour toi ? Pour toi vraiment ? Ou pour aller chez l’esthéticienne et la coiffeuse pour ne pas ressembler à un yéti hirsute et ainsi te rapprocher de ce qu’on attend de toi à savoir être une femme pomponnée, épilée, fraîche et sexuellement attirante (la MILF isn’t it ?) Tu dois être détendue mais pas négligée. Prends sur toi, sors de ce pantalon informe en pilou, mets ton short Fabletics et va faire un jogging. Prends du temps pour toi quoi, merde !

Tu dois être détendue mais bien-vei-llan-te. Ça veut dire ne pas mettre de torgnoles ni à ton enfant, ni à ton mec, ni à tes collègues, ni à ton boss, ni à ta mère, ni aux gros lourds dans la rue. À personne. Tous ces gens qui exigent, demandent, pompent ton air et ton énergie, comprends-les ils ont besoin de toi.

Les bébés ne dorment pas, c’est vrai, mais ça va passer, prends ton mal en patience, lis le bouquin de James McKenna et dors quand bébé dort ! Reposes toi ! Fais des siestes ! Mais surtout SURTOUT ne le laisse pas pleurer, c’est très mal. L’allaitement peine à se mettre en route ? C’est normal, la tétée, ce n’est pas inné, contrairement à ce qu’on dit. Accroches toi et surtout SURTOUT détends toi ! Il faut être détendue pour allaiter. C’est ce qu’il y a de meilleur pour lui, ça vaut le coup de persévérer.

Tu n’as pas encore tout à fait récupéré de ton accouchement et la simple idée d’une partie de jambe en l’air te révulse ? Pense à ton mari, il a besoin de te retrouver. Tu n’es pas juste une mère, tu es aussi une femme. Une petite soirée en amoureux de temps en temps, se consacrer à son couple c’est important. Ta libido ? Oui, bon, l’appétit vient en mangeant non ? Et selon des études scientifiques toutes plus sérieuses les unes que les autres, le sexe contribue à te raffermir, te rajeunir, te détoxifier et surtout SURTOUT à te détendre.

Tu es détendue là, ça y est ?

La vérité c’est que tu as le droit (le devoir ?) d’être imparfaite. En tout. Mais ce n’est pas une raison pour arrêter de tout faire. De tout faire bien.

Déléguer, ce n’est pas se rouler en boule dans son lit, manger des chips et rester en jogging toute la journée pendant que quelqu’un s’occupe de tout. Ça c’est déprimer, se laisser aller, être négligée.

Lâcher prise ce n’est pas décider de ne faire qu’une seule chose à la fois. De n’être qu’une seule personne à la fois. Ce n’est jamais décider de se consacrer entièrement à son enfant, entièrement à sa vie sentimentale ou entièrement à son boulot. Ça c’est être égoïste.

Prendre du temps pour soi, ce n’est jamais dire « Pas ce soir, chéri » plusieurs soirs d’affilée, plusieurs semaines ou plusieurs mois pour pouvoir retrouver l’amour, le confort, la tranquillité de son propre corps. Ça c’est délaisser son conjoint.

La mère imparfaite, c’est juste un nouveau motif de détestation de soi-même.

Parce que depuis des années, des décennies, on essaye de mener tout de front, on n’a pas le choix, et aujourd’hui on nous dit que ça non plus ça ne va pas. On nous dit qu’on ne doit pas être stressées, ni être malades, ni être tristes. On doit au contraire s’épanouir dans tous les domaines. C’est le culte du plaisir, un plaisir bien encadré.On s’épanouit au spa entre copines, entre un épisode de Sex and the City et une séance d’épilation intégrale. On s’épanouit en levrette trois fois par semaine minimum. On s’épanouit en tant qu’assistante de direction – directrice, ça ne laisse pas assez de temps pour s’occuper des enfants. On s’épanouit sous conditions. Et quand ça ne va toujours pas, c’est de notre faute, parce que n’avons pas su « lâcher prise » et « prendre du temps pour nous ».

Sur mon mur la mère imparfaite explose en millier de tâches d’encre. Toutes noires.

Explosons, mesdames, en millions de tâches colorées de nos millions de goûts, d’aspirations, de névroses, d’inquiétudes, de larmes versées, de rires envolés, de nos millions de chairs, de nos millions de plaisirs plus ou moins solitaires, de nos millions d’enfants adorés et détestés.

Explosons mesdames, ç’en est trop.

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