Elle ne va pas bien (dire et écouter)

Elle ne va pas bien.

Sous ses yeux, sous ses paupières, la digue prête à lâcher, on sent les larmes accumulées.

Ça fait des poches, ça fait des cernes, ça fait les mâchoires serrées.

Si elle relâche, ça va couler alors elle tient, elle serre les dents, elle serre les poings mais je le vois qu’elle ne va pas bien.

Elle prend sa douche en deux minutes, s’excuse tant et tant, d’oser demander à quelqu’un même à lui, pourtant leur père, juste un instant pas longtemps, je reviens, je ne serai pas longue, merci, merci, merci, les enfants soyez sages, je me douche vite, vite, vite, et je redescends. Elle s’excuse tant et tant. Elle ne va pas bien.

Elle ne va pas bien, elle crie beaucoup, elle crie sur eux, elle crie sur lui, elle crie, du matin jusqu’à la nuit. Les autres aussi, ses amours, ses tout-petits, ils crient, ils crient. Ça fait du bruit mais rien ne bouge. Elle ne va pas bien.

Elle ne dort pas, elle ne dort plus, la faute au bébé, la faute au boulot, la faute à la solitude qui tient le sommeil en étau. Quand la nuit tombe, et pas elle, quand elle racle des miettes de sommeil, elle reste étendue main tendue

Sur la poitrine de son ange, le torse de son tout-petit, veille son souffle, veille sa vie, elle a si peur que tout s’écroule, sans eux elle meurt, sous eux elle croule.

Elle ne va pas bien, elle pense à tout et tout le temps. Métronomiquement elle fait le compte du temps, des couches, des heures, des siestes, des tétées, des douleurs, des courses, de l’argent, des jours sans avoir fait l’amour, des jours avant de reprendre le travail, des jours avant les prochaines vacances. Elle compte et ça fait tic-tac dans son cerveau, le jour la nuit, de bas en haut.

Elle ne va pas bien.

C’est ton amie, c’est ta sœur, c’est ta collègue de travail, c’est l’inconnue qui vient, un mercredi soir, dans un centre social du 6ème arrondissement, pour s’assoir avec d’autres inconnues, elle s’est levée, habillée, motivée, a mis son bébé en écharpe, a pris le métro, est venue, là, juste pour parler. Parler, parler, parler pour sortir du dialogue infernal que se tiennent l’ange et le diable sur ses épaules voûtées de milliards de questions. Pour qu’on lui dise je t’entends, je te comprends, moi aussi, j’ai crié, pleuré, eu envie de le jeter par la fenêtre, de partir, de m’enterrer, de fuir, de tout arrêter. Elle ne va pas bien et tu voudrais tant l’aider, lui dire qu’on s’en sort, que ça va aller. Elle ne va pas bien et tu ne peux rien faire. A part tendre l’oreille, prêter une épaule, partager des mots.

Est-ce suffisant de dire et d’écouter ?

Je me pose sans cesse cette question. Est-ce suffisant ? Je voudrais faire plus. Je voudrais l’aider elle, les aider toutes. Je ne suis pas médecin, je ne suis pas psy, je suis juste une maman qui peut dire « moi aussi ».

Je peux juste dire et écouter. Entendre aussi. J’espère que ça suffit.

6 commentaires

  1. J’ai l’impression que ce texte a été écrit pour moi,Je me reconnaît tellement je vis toute ses choses c’est dernier temps et je n’arrive pas à sortir de tous cela.

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    • Bonjour Delaye. Tout d’abord merci et bravo pour ce commentaire, il faut du courage pour oser s’exprimer. Si vous avez besoin de parler, des associations existent, parmi lesquelles Maman Blues dans laquelle je suis engagée. Selon l’endroit où vous habitez il y a peut-être une référente qui pourrait vous aider ? http://www.maman-blues.fr/association/les-relais-maman-blues.html
      Il y a aussi des lieux d’accueil enfants parents (LAEP) dans presque toutes les villes de France et même en milieu rural. Ce sont des lieux libres et gratuits, adaptés aux tout-petits et animés par des bénévoles qui accueillent et accompagnent les parents dans toutes les formes de difficulté parentale possibles. ça peut aussi être bien juste pour sortir, voir du monde, savoir quoi faire et où aller avec son/ses enfants.

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  2. Tout d’abord merci. Merci pour ce billet tellement criant de vérité.

    J’ai trois enfants et j’ai vécu 3 dépressions du post partum. La troisième a été si violente qu’ elle a failli me tuer. Ce qui m’a amenée à
    effectuer pas mal de recherches et ce qui ressort le plus lorsqu’on parle de ce fléau est le fait qu’on en parle justement pas assez. Les mères qui vivent une DPP sont souvent seules à gérer leur mal-être et en plus elle doivent être à 100% mamans pour leur (s) enfant (s). Cachées derrière leur honte et ce sentiment de ne pas être une bonne mère.
    Étant photographe il m’ a tout de suite semblé normal et même essentiel d’essayer d’ apporter ma contribution pour essayer d’aider d’autres mamans dans mon cas. Ce qui m’a aidée à part le soutien inébranlable de mon mari, mes parents et mes amis, a été le fait de ne pas me sentir seule. Des groupes de soutien m’ont permis de parler de mes symptômes et de recevoir de l’espoir de mamans qui s’en étaient sorties. Cependant ces groupes restent privés, on ne se voit pas, on écrit dans le silence de sa solitude intérieure et je pense qu’au contraire il faut que toutes ces voix soient fortes et faciles à entendre.
    J’ai donc décidé de commencer un projet photographique dans le but de le publier, d’en faire un ouvrage. Et j’ai besoin de ces mères qui ont vecu la meme chose et qui ont envie d’en parler. Le but est de les photographier, avec ou sans leurs enfants, dans leur « rôle » le plus confortable…juste elles.. Et d’écrire leur histoire ensemble…seulement ce qu’elles veulent en dire. De raconter leur parcours, leurs craintes, leurs angoisses, leurs peurs, leurs symptômes, leurs relation avec leurs petits. Pour que ce sens de culpabilité puisse partir. Pour que cette voix se mélange aux autres et soit moins dure à accepter. Pour exorciser les tabous autour de cette maladie.
    J’habite Toulouse et, puisque ma fille est très petite, je ne peux commencer le projet ailleurs…donc pour le moment je vais faire appel aux mamans qui souhaitent participer et qui habitent la region ou peuvent se déplacer…l’année prochaine je pourrai organiser des séances sur Paris également.
    Je souhaiterais pouvoir discuter de tout ceci avec vous si mon projet peut vous intéresser.
    Merci de m’avoir lue

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    • Bonjour, et merci pour ce touchant commentaire. C’est toujours un plaisir d’échanger avec d’autres personnes qui ont des projets autour de la difficulté maternelle car en effet, nous contribuons à notre manière à lever le voile sur ce sujet tabou et c’est nécessaire. Indispensable. Pour parler de votre projet, je vous propose de nous retrouver en privé sur Twitter @daronneperchee, ce sera plus simple

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  3. Merci pour ce texte très touchant. C’est très dur d’avouer qu’on ne va pas bien alors qu’on a choisi la maternité.
    « Assume » « arrête de te plaindre ». Et puis tant de mères paraissent si parfaitement heureuses. Sommes-nous donc seules à se sentir perdues?
    Alors merci pour lever ce tabou dans plusieurs de vos articles.

    C’est que souvent la maternité épuise et n’est pas assez soutenue.
    « Il faut tout un village pour élever un enfant » dit un proverbe africain. Quels bienfaits ça serait pour les enfants! Mais aussi pour les mères!
    Mais ici il y a trop souvent des femmes seules ou des mini familles (papa maman bébé).

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