La misère sexuelle selon Catherine M.

« Il faut apprendre à avoir le courage devant un frotteur du métro de se retourner et de lui dire « Mon vieux, tu me déranges », et puis de sortir de ce petit épisode la conscience tranquille […] et d’oublier et passer à autre chose. »

Ce jeudi 11 janvier 2018, Catherine Millet intervenait au micro d’Ali Baddou sur France Inter en tant que signataire d’une tribune du Monde rassemblant 100 femmes opposées au mouvement #metoo – cette soi disant campagne de délations véhiculant la haine des hommes. Le but de la tribune était de réhabiliter les hommes et leur « liberté d’importuner », indispensable selon ces femmes à la séduction.

Il faut être fortes, avoir du courage, nous dit Catherine Millet. Mais comment, et même pourquoi, avoir ce courage quand on nous explique que ce comportement n’est pas grave ? Pourquoi, alors s’en offusquer ? Si ce sont les aléas des trajets en métro, au même titre que cette tenace odeur de pisse dans les couloirs, pourquoi se rebeller ? Il y a là un paradoxe que j’ai du mal à comprendre. Si on doit apprendre à se rebeller courageusement, c’est bien que c’est anormal, inacceptable, non ? Alors  pourquoi ne pas vouloir que ça change ?

Depuis des siècles, des millions de femmes fortes et courageuses, justement, acceptent par résignation d’être le réceptacle des débordantes pulsions de leurs conjoints, de leurs patrons, des mecs dans le métro. Et pour survivre, elles oublient. Elles minimisent, elles passent à autre chose – exactement ce que recommande Catherine Millet. Certaines, comme Flavie Flament, violée à 13 ans par David Hamilton, oublient même pendant 20 ans. Et quand elles se souviennent, c’est trop tard. Dommage pour elles. L’oubli c’est pratique : ça ne fait pas de vagues et personne n’est inquiété. Tout le monde y gagne, n’est-ce pas ?

Sur un autre plateau, celui de Quotidien sur TMC, hier soir, Catherine Millet, toujours, évoquait sa compassion à l’égard des frotteurs du métro, revenant plusieurs fois sur une prétendue « misère sexuelle »

La compassion, évidemment, on ne peut pas la lui reprocher. Je crois effectivement qu’il doit être extrêmement compliqué d’être un homme et de n’avoir aucune sexualité. Déjà parce que la sexualité est au cœur de notre société. Ensuite parce que le sexe est présenté aux hommes comme un besoin, une dimension intrinsèque à leur nature d’homme. Un homme qui ne baise pas n’est plus un homme du tout. Il perd toute virilité. Mais on peut avoir de la compassion sans pour autant donner de sa personne pour débarrasser les hommes de leur frustration. Au nom de sa misère sexuelle, un homme pourrait débarquer dans le métro et décharger sur la première venue ? Laquelle devrait garder à l’esprit que le pauvre homme est dans la misère sexuelle et qu’il a bien mérité sa petite ejac’ sauvage. Laquelle devrait donc avoir le courage de lui demander d’arrêter mais en même temps ne pas lui en tenir rigueur, sortir à Châtelet comme chaque jour, et poursuivre sa journée, sans s’émouvoir plus que ça de ce qu’un pauvre type se soit servi d’elle comme vide-couilles. Il faudrait même se sentir flattée, si on en croit Catherine Millet à qui « malheureusement ça n’arrive plus parce qu’elle est trop vieille. » (sic)

Je ne crois pas que les femmes aujourd’hui manquent de courage, ni de capacité de résilience, au contraire. Et je ne crois pas du tout que le mouvement #metoo encourage les femmes à la victimisation. C’est plutôt l’inverse, comme une immense vague de pouvoir collectif qui nous fait passer du courage d’endurer et de nous taire, au courage de parler, de nous unir, de dire stop. Les femmes ne se posent pas en victimes, elles veulent simplement arrêter d’être traitées comme des objets. C’est somme toute une revendication assez légitime, que diable ! Les hashtags #metoo et #balancetonporc permettaient à l’origine de dénoncer le harcèlement sexuel, principalement dans le milieu professionnel. Puis il s’est étendu aux violences sexuelles, au harcèlement de rue. Et puis, nous en sommes venus à parler de la place des femmes dans la société. Pour finalement en arriver à parler de la sexualité féminine. Nous remettons aujourd’hui en cause des codes de séduction et une sexualité reposant sur un rapport homme actif / femme passive, des codes somme toute très normatifs, et éloignés des désirs profonds des un•e•s et des autres.

Il n’y a ni haine des hommes, ni haine de la sexualité, et je pense que l’extinction de l’espèce n’est pas pour tout de suite. La sexualité hétérosexuelle classique papa-dans-maman a encore de beaux jours devant elle. Les femmes de ma génération, pour ce que j’en sais, ont toujours envie de sexe et de séduction. Les jeunes gens expérimentent de plus en plus tôt et de plus en plus souvent des formes de sexualité hier jugées marginales comme le SM, l’échangisme, le sexe à plusieurs, la bisexualité… On repère même une banalisation des pratiques dites extrêmes inspirées des films pornos. On peut aujourd’hui se dire homosexuel•le sans être mis•e au bûcher. De l’autre côté du spectre, des jeunes filles et jeunes garçons peuvent aujourd’hui revendiquer leur asexualité et trouver de l’épanouissement ailleurs. Tout cela me semble donc aller dans le sens de l’enrichissement, de la diversification, de la libération de sexualités variées et décomplexées.

Je ne doute pas que des hommes aient pu être violemment ébranlés par ce mouvement – des comportements jusqu’ici tolérés, banalisés, voire encouragés (lire l’excellent article de David Wong sur la culture du viol dans le cinéma, traduit sur le blog Vous n’êtes pas ici) ont du jour au lendemain été sévèrement réprimés. Certains se sont retrouvés grands perdants d’un jeu dont ils ne connaissaient pas les règles. Certains ont perdu leur travail et ceci, ajouté à la déferlante médiatique, a sans doute été difficile à vivre. Mais rappelons tout de même que selon une étude Ifop de 2014 sur le harcèlement sexuel au travail,  20% des femmes actives déclarent avoir déjà été harcelées au travail. Dans 40% des cas, l’histoire s’est terminée à leur détriment (atteinte à la santé physique et/ou mentale, blocage de carrière, non renouvellement de contrat, licenciement ou démission forcée, fin de période d’essai, arrêt de travail…). Dans 70% des cas, la direction de l’entreprise n’a jamais été au courant et dans 65% des cas, l’affaire n’a eu aucune conséquence pour le harceleur.

Il faudrait s’émouvoir de ce que quelques uns soient aujourd’hui mis en cause ? Mais qui a eu de la compassion pour toutes ces femmes atteintes dans leur liberté d’aller au boulot, tout simplement, chaque jour, sans être « importunées » ? Tout comme la honte, il faudrait donc que la compassion change de camp.

Pour Madame Millet, toucher le corps d’une femme sans son consentement n’est pas pire que fumer un gros cigare à côté d’elle – c’est incommodant, sans plus. Il est incroyable qu’on ne s’offusque pas, alors, de l’interdiction de fumer dans les lieux publics, au nom du droit à incommoder. En tant que fumeur, on va sans broncher se cailler les miches dehors pour griller sa clope, car on comprend que les non-fumeurs n’ont pas à endurer notre addiction. Tout le monde s’accorde sur cela. Ta fumée dans mes poumons, c’est non. Mais ta main sur mon corps, c’est oui ? N’est-ce pas risiblement absurde ?

Vous dites ce n’est pas grave. Mais vous ne le vivez pas. Ou plus. La moindre des choses est de laisser à celles qui le vivent le droit de décider si oui ou non, c’est grave, si oui, ou non, elles en sont choquées, blessées ou traumatisées. Vous parlez de courage ? Il vous en manque peut-être un peu pour admettre que non, cette fois, ce n’était pas mieux avant.

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