Marseille : mes journées du matrimoine 2018

Septembre est là. Avec lui s’imposent des choses plus ou moins déplaisantes, la rentrée, les journées trop courtes et les soirées plus fraîches. Mais septembre, c’est aussi cet immuable rendez-vous : les journées européennes du patrimoine (JEP). Depuis l’enfance, ces journées sont pour moi une occasion immanquable de partir en vadrouille, direction un vieux château ou un parc. Une manière d’insuffler un air de vacances à ce mois de septembre trop sérieux.

Réjouissons nous donc, ce weekend, nous pourrons une nouvelle fois faire la queue pendant cinq heures pour entrer à l’Élysée ou sur le plateau du JT de France 2. Pour cette 35e édition, le site de l’événement nous promet pas moins de 26 000 animations à travers la France, sur le thème « L’art du partage ».

A Marseille, nous n’avons ni palais présidentiel ni grande chaîne de télévision. Nous pourrons néanmoins faire notre choix parmi une centaine de propositions. L’occasion d’explorer le patrimoine de notre ville. Un patrimoine essentiellement masculin.

Et si on s’intéressait au « matrimoine » de Marseille pour diversifier un peu tout ça ?

Sur l’excellent blog tourisme-marseille.com Dominique Milherou propose un circuit d’exploration pour découvrir un « Marseille de femmes en 32 haltes ». De Gyptis à Florence Arthaud, de Raymonde Tillon à Lily Pastré, les femmes artistes, écrivaines, résistantes ou sportives ont de tout temps marqué l’histoire de la cité phocéenne.

Voici celles que j’ai croisées pendant MES journées du matrimoine 2018 :

Gyptis, la fondatrice

Selon le mythe, en en – 600 avant J.C., Gyptis, fille du roi des Ségobriges installés là, prit pour époux Protis un marin grec venu de Phocée. Ce mariage marque l’alliance entre ces deux peuples qui ensemble fondèrent Massalia, ancêtre de Marseille.

En 1987, les sculpteurs Jean Louis Boudet et Yann Liebard ont réalisé une statue avec des blocs de marbre venus tout droit de Grèce en l’hommage des deux amants. Je n’ai pas pu la voir car la pauvre statue était retenue prisonnière des tentes dressées pour la très corporate JurisCup — on n’a pas voulu le laisser entrer malgré mes supplications. Cela dit, je m’interroge sur les motivations qui ont conduit la municipalité à choisir cet endroit laid et peu fréquenté — le quai Marcel Pagnol — pour rendre hommage à nos deux antiques mariés. Dommage.

Les résistantes

Poursuivant ma route, je me suis rendue au pied de l’abbaye Saint-Victor, espérant m’installer quelques instants à l’ombre des pins, dans le square Bertie Albrecht. Que nenni, le square était fermé. C’est moi qui n’ai pas de chance ou bien ? A croire qu’on ne veut vraiment pas valoriser le matrimoine marseillais !

square-berthie-albrechtCe n’est pourtant pas n’importe qui, Berthie ! Cette féministe badass fonda en 1933 la revue Le Problème sexuel qui entendait  « instituer sur la totalité du problème sexuel une impartiale enquête », vaste programme, en s’attaquant notamment à « la préparation à la vie sexuelle et à la génération consciente »1  — preuve que l’éducation sexuelle n’a pas commencé avec Marlène Schiappa. Grande résistante, elle fonda également plusieurs journaux sous l’Occupation avec son compagnon Henri Frenay. Ensemble ils créeront aussi le mouvement de résistance Combat. Arrêtée en 1943 et transférée à la prison de Fresnes, Berthie Albrecht s’y suicidera sur le champ, sans laisser à l’ennemi l’occasion de la torturer.

D’autres résistantes ont marqué l’histoire de Marseille. Mireille Lauze, militante communiste et résistante, a donné son nom à un boulevard du 10e arrondissement. Elle fut déportée à Ravensbrück en 1944 où elle mourra quelques mois plus tard. Raymonde Tillon, résistante communiste fut elle aussi déportée avant d’être affectée dans une usine de guerre de Leipzig dont elle parviendra à s’échapper en avril 1945. De retour à Marseille, elle sera l’une des 33 premières femmes élues députées dans la première Assemblée constituante de la IVe République. Mireille et Raymonde se sont-elles croisées à la prison des Présentines, à l’actuel emplacement de l’Hôtel de Région ? Elles y furent en tout cas toutes deux détenues avant leur déportation.

Pour rencontrer Lily Pastré, il faut quitter un peu le vacarme du centre, aller un peu plus loin, à l’endroit où la ville se mêle aux collines. Entre les feuilles des chênes centenaires de la campagne Pastré — selon moi le plus beau des parcs marseillais —souffle encore le souvenir de Marie-Louise Double de Saint Lambert. Celle qu’on surnomma Lily Pastré, sans doute pour faire plus court, fut une grande mécène et l’arrière-petite-fille d’Anne Rosine Noilly-Prat, autre grande dame marseillaise au nom à rallonge. Pendant l’Occupation, Lily Pastré protégera au sein du château Pastré, et sous le nez des allemands, de nombreux artistes juifs, comme les pianistes Youra Guller et Clara Haskil. Elle consacrera sa vie à promouvoir les arts et les artistes, notamment avec son association « Pour que l’esprit vive ». Le sien, d’esprit, vit toujours en tout cas !

Les patronnes

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Entrée du Noilly-Prat de Marseille, entreprise qu’Anne-Rosine Noilly-Prat dirigea pendant 37 ans

Rue Paradis, au numéro 167, seule une discrète plaque nous rappelle la présence historique de la société Noilly-Prat, entreprise de production de vermouth. Fille de Louis Noilly et femme de Claudius Prat, Anne Rosine Noilly-Prat prendra la direction de l’entreprise après le décès de son père et de son conjoint. Cette « mumpreuneuse » du XIXe restera à sa tête pendant 37 ans, faisant fructifier l’entreprise familiale. Elle fera également sa part dans les bonnes œuvres en distribuant gratuitement du vin de messe (était-ce une si brillante idée ?), en ouvrant plusieurs structures de soin pour les femmes pauvres ou malades.

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Maison natale de Germaine Poinso-Chapuis au 128 rue Paradis

À quelques mètres de là, au 128 de la même rue, naissait en 1901 Germaine Poinso-Chapuis, première femme politique française à détenir un ministère à part entière. D’abord députée des Bouches-du-Rhône, elle entrera le 24 novembre 1947 comme ministre de la santé publique et de la population dans le cabinet formé par Robert Schuman. La classe.

Même si je ne suis pas allée à sa rencontre, il ne faut pas oublier Pierrette Candelot, dite La Veuve Perrin, qui marqua le patrimoine économique marseillais en prenant la tête d’une entreprise de faïence. Moribonde au décès de son mari, l’entreprise connaîtra avec la Veuve Perrin une fulgurante ascension grâce à la seule détermination de sa big boss. Nombre des faïences produites par la société Veuve Perrin sont présentées au musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode du Château Borély, justement ouvert gratuitement ce weekend. Comme ça tombe bien !

Les artistes

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Maison de Julie Pellizzone, écrivaine

En redescendant vers le Vieux-Port, dans le quartier Belsunce, je me suis arrêtée à l’angle de la rue Tapis Vert et du cours Belsunce. En levant la tête j’ai imaginé Julie Pellizzone à son balcon, détaillant méticuleusement ses contemporains. Si elle vivait aujourd’hui, Julie serait sans doute blogueuse ou journaliste. En son temps, elle installa chez elle un précieux observatoire de la vie locale. Ses Souvenirs documentent en quelques 1467 pages et trois volumes sa vie de marseillaise de 1787 à 1836.

Pour terminer la journée, j’ai finalement pris la route du 4e arrondissement où j’ai élu domicile depuis un peu plus d’un an. Ce faisant, j’ai dû comme chaque jour traverser le délicieux boulevard Françoise Duparc. Six voies, des feux rouges tous les cent mètres, bref, un mauvais moment à passer quel que soit son moyen de locomotion. Mais, Françoise Duparc, n’a pas seulement donné son nom à l’un des cauchemars des automobilistes, piétons et cyclistes marseillais. Peintre du XVIIIe siècle, elle a aussi laissé plusieurs œuvres représentatives du style réaliste et de la peinture de genre. Au musée des Beaux-Arts, gratuit à l’occasion des JEP2018, on peut découvrir quatre de ses toiles.

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Les quatre toiles de Françoise Duparc au Musée des beaux-arts de Marseille

Épilogue

Au cours de ce périple, j’ai été inspirée par toutes ces femmes inspirantes. J’ai aussi été chagrinée par l’absence d’hommage qui leur est fait. Pourtant, à commencer par Gyptis, l’histoire de Marseille est profondément marquée par les femmes, et c’est bien la plus belle de toutes, Notre-Dame de la Garde, qui surplombe la Cité de ses 11,2 mètres de cuivre doré à la feuille. Monumentale Vierge à l’Enfant, elle est le symbole féminin de la plus vieille ville de France. Si la Bonne Mère s’est taillée la part belle, n’oublions pas toutes celles — corailleuses, bouquetières, poissonnières, santonnières, cagoles originelles de l’usine de dattes Micasar — qui sont le « matrimoine » discret et éternel de la ville de Marseille.

Ressources

Pour des fiches détaillées sur toutes ces marseillaises célèbres, et bien d’autres, voir le superbe dossier de tourisme-marseille.com, déjà cité en haut d’article.

Voir aussi  le travail de l’AFV (Association les femmes et la ville) qui propose de très nombreuses ressources sur les femmes marseillaises. Elles sont notamment à l’origine du Dictionnaire des marseillaises, et d’un sympathique jeu des 7 familles uniquement à base de meufs.

📰 1 – Extrait du n°1 de la revue Le Problème sexuel, 1933, sur socialhistory.org

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