Dans le métro, une petite fille montre sa culotte. Sa mère luit dit Tiens toi bien. Une petite fille montre sa culotte et son père lui dit Fais attention, tu ne connais pas les hommes. Une petite fille montre sa culotte et sa grand-mère la gratifie d’un tchip désapprobateur. Elle la tire fermement par le bras, l’enfant retombe, soupire mais s’assoie, les mains à plat sur ses genoux. Elle pense : Plus que deux stations. L’aïeule tire la jupe de la petite, tutu bon marché, le frou-frou recouvre à présent le genou.
Sa culotte est juste un vêtement mais nul ne s’en prend à son t-shirt ou à ses chaussettes comme à ce triangle de coton qui fait froncer les sourcils et hausser la voix.
La petite fille veut courir et jouer et grimper et sauter et mettre des jupes et tant pis si on voit sa culotte.
Il y a tant à voir dans cette rame — visages, corps, cinéma muet des lèvres en mouvement tues par le vacarme de la machine. Toutes choses préférables au visage fâché de sa mère qu’encadre maintenant son champ de vision. Tourner la tête c’est voir la vieille, et ça n’est pas plus réjouissant, elle aussi fait le tronche.
Elle montre sa culotte et il lui semble qu’elle a fait quelque chose de mal.
Elle la montre ! Comme si elle le faisait exprès, comme si elle s’exposait, comme si elle faisait un enjeu de ce cache-sexe d’à peine quelques centimètres carrés de superficie. Pour elle, ce geste n’a rien de conscient, il n y a même pas de geste, la culotte est juste là, et elle s’en passerait fort bien, à vrai dire, tant elle aime la sensation de l’air vif se promenant sur sa peau nue.
La jupe de tulle bleu — comme Elsa, comme Elsa, maman ! — se fait corolle autour de ses jambes, tiges graciles agitées par le vent de l’enfance, qui soulèvent inévitablement les trop fluides pétales. Elle, innocente ipomée, on lui prête des desseins d’orchidée.
Être une petite fille c’est être tentatrice et proie, c’est apprendre à se camoufler, à se faire invisible dans l’espace public, pour ne pas attiser les ardeurs des « fous », des « pervers », des « pédophiles », des « dérangés », incontrôlables mâles mus par leurs plus bas instincts. Ils n’y peuvent rien, les pauvres. Fais attention, tu ne connais pas les hommes. Et pour cause, elle a 6 ans.
Ils ne pensent pas à mal ceux qui disent à cette enfant : Serre les jambes, reste assise, ne montre pas ta culotte. Ils se pensent prévoyants, protecteurs, ils ne veulent pas qu’il lui arrive des bricoles.
Mais le mal est fait, la petite fille sait que son corps, dans la rue, dans le métro, dans le monde, elle sait que son corps est un problème. Elle sait que sur son corps chacun.e aura une opinion.
« Ce corps que la petite fille confondait avec soi lui apparaît comme chair, c’est un objet que les autres regardent et voient. », écrivait Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe.
La jupe, c’est cet accessoire pervers que tout le monde se plaît à admirer sur une petite fille – montre, comme elle tourne ! Comme tu es jolie !, cet emblème de la féminité sans lequel chacune sera taxée de garçon manqué. C’est en même temps une assignation à rester sage : la jupe, oui, la culotte non. Qui oserait empêcher un garçon de jouer au motif que l’on entrevoit son boxer Avengers ? La jupe ou la robe, accompagnées de l’interdiction de se mouvoir à sa guise, c’est la mort de l’enfance des petites filles. Et je pèse mes mots.
Être une petite fille, c’est être déjà une femme.
Plus tard, elle pourra s’offrir une ravissante culotte en dentelle destinée à « faire de lui un prince » comme énoncé en 4 par 3 par l’une des « leçons de séduction » de la marque Aubade. La plupart du temps, elle portera un banal slip, doux et confortable, en espérant ne pas faire une rencontre imprévue qui la conduirait, comble de la honte, à se présenter à un nouvel amant en culotte DIM à petits pois. On ne fait pas de son homme un « prince » avec des dessous aussi vulgaires, voyons ! Et si, par malheur, elle se fait agresser sexuellement, elle devra répondre, comme d’autres avant elle, du string qu’elle portait ce jour là. Ne l’a t-elle pas un peu cherché ? Elle se souviendra de son enfance, quand on l’exhortait à ne pas montrer sa culotte. La boucle sera bouclée. Elle sera non pas victime mais coupable. Coupable de ne s’être pas suffisamment bien tenue. Coupable d’avoir échoué à se protéger. Coupable d’avoir montré, que dis-je, porté une culotte.
Tout à fait! On intègre très vite le message…
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Oui, pourtant il me semble que peu d’adultes réalisent en quoi c’est problématique cette pression mise sur le corps des petites filles et la responsabilité qu’elles en ont… Ne devrait-on pas plutôt éduquer filles et garçons au respect de son propre corps et de celui des autres (ce qui n’à rien à voir avec les vêtements) ? Et, plutôt que de dire : protege-toi, ne doit-on pas, plutôt, sensibiliser au consentement ? Qu’en penses-tu ?
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C’est ce que j’ai fait avec mon garçon. Je lui ai parlé il y a quelques mois (il avait 6,5 ans) et je lui ai donné le vrai nom des organes sexuels féminin et masculin, je lui ai dit que lui avait le droit de se toucher (en toute intimité), que c’était son corps mais que personne ne pouvait le toucher sans son consentement et que de la même manière, lui, ne pouvait toucher personne sans son accord…il est encore petit mais il faut semer les graines très vite
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J’autorise mes filles à se balader en culotte dans la maison. Mais chez leur père c’est interdit car justement « on ne montre pas sa culotte » !
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Question sans doute épineuse mais est-ce que c’est un sujet que tu as déjà abordé avec le père de tes filles ?
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Non il m’est jamais venu de lui en parler. Les règles chez lui avec sa compagne, je ne m’en mêle pas. Déjà lorsqu’elles vont chez son père, elles se sentent « chez » leur père (qui vit chez la copine) et non chez elles. Et elles ne peuvent pas faire ce qu’elles veulent dans leur chambre parce qu’il faut que ce soit bien rangé « impeccablement »…
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